La dynamique historique des Livres du souvenir

Cette partie du livre de Annette Wieviorka et Itzhok Niborski est citée intégralement.

L’objectif des Livres du souvenir est de préserver le monde juif dans sa totalité, passé lointain et passé proche du génocide confondus. Les textes ne sont pas organisés comme une structure sédimentaire où les couches se superposent chronologiquement. On rencontre souvent des phénomènes de charriage. Au lecteur qui le souhaite de discerner ce qui provient du terrain autochtone de la Tradition, de terrains déplacés en provenance de l’Occident, et de repérer les contacts.

En procédant ainsi, les auteurs des yizker-biher évitent de s’interroger sur la crise du shtetl avant le génocide. La vie traditionnelle, là-bas comme ailleurs, était condamnée, vouée à disparaître ou à se transformer en profondeur. Certains articles ne peuvent, d’ailleurs, le dissimuler. Des dynamiques étaient à l’œuvre, révolutionnaires ou religieuses, ou tout simplement des stratégies de survie par l’émigration ou l’assimilation afin de répondre à cette crise. Ceux qui réfléchissaient cherchaient une synthèse qui permît de vivre juif dans le monde moderne. L’histoire a interrompu un processus commençant. Les yizker-biher rendent compte de ce processus sans chercher à l’analyser.

Alors que les livres parus avant la guerre, les monographies consacrées aux villes de Pinsk ou de Vilno exprimaient, à travers le choix des textes retenus, le désir de proposer une synthèse de la vie juive en se plaçant dans une problématique du devenir de la Yiddishkeït en Pologne ou dans l’émigration, les Livres du souvenir n’ont aucune visée analytique ni synthétique. Les acteurs de la société juive qui s’affrontaient ou s’ignoraient superbement, assimilé ou orthodoxe, bundiste ou sioniste, patron ou ouvrier, sont ici simplement rassemblés. Comme ils ont été rassemblés dans la mort.

Les auteurs des Livres du souvenir n’ont plus besoin de saisir une dynamique historique. L’histoire qu’ils écrivent ne sert aucun passé, aucun futur. Elle répond au seul besoin de combler le vide ouvert par le génocide puis par l’attitude des Polonais après la guerre. La rétrospective, jusque dans sa minutie, ne peut refléter ce qui fait une société vivante : les interactions, les luttes, le dynamisme, puisque cette société a été condamnée à mort.

Source : Les Livres du souvenir. Mémoriaux juifs de Pologne, Annette Wieviorka et Itzhok Niborski, Collection Archives, Gallimard-Julliard, 1983.

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