Les rafles à Paris

La première grande rafle collective fut celle du 14 mai 1941 ; elle concernait les Juifs polonais, tchécoslovaques et autrichiens, âgés de 18 à 40 ans.
Ils étaient convoqués par la police parisienne, en application de la loi française du 4 octobre 1940 qui autorisait l'internement d'office des Juifs étrangers.

Ils ont reçu une lettre de ce type, sur papier vert :

« Préfecture de police

Paris le 10 mai 1941

M. …
est invité à se présenter, en personne, accompagné d'un membre de sa famille ou d'un ami, le 14 mai 1941, à 7 heures du matin, à…(était indiqué l'un des cinq centres, caserne, hangar ou gymnase1), pour examen de sa situation.
Prière de se munir de pièces d'identité.
La personne qui ne se présenterait pas aux jours et heures fixés s'exposerait aux sanctions les plus sévères.

Le commissaire de police »

Tous les Juifs qui se sont présentés « pour examen de situation » ont été dirigés en autobus vers la gare d'Austerlitz et envoyés dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Ils seront déportés en juin 1942 vers Auschwitz.

3 747 personnes, dont 3 430 Polonais, 123 apatrides et 157 Tchécoslovaques furent ainsi internés. L'accompagnateur des personnes convoquées était chargé de se rendre au domicile de la personne arrêtée pour en rapporter une valise avec des effets personnels.

Mais 3 747 personnes seulement avaient répondu aux 6 494 convocations. Les autres avaient déménagé, ou avaient décidé de ne pas se présenter. De nombreux témoignages racontent les hésitations des Juifs convoqués2. Souvent d'ailleurs, lorsque des convocations arrivaient ou que se répandait une rumeur de rafle, le chef de famille quittait l'appartement, puis revenait quelques jours après.

Le préfet Ingrand a écrit au commissaire général aux questions juives, Xavier Vallat, le 6 juin 1941 :
« Au cours de la visite que j'ai eu l'honneur de vous faire le 5 avril dernier, je vous ai exposé que, le 26 mars précédent, M. le directeur ministériel m'avait exprimé le désir du Commandant des Forces Militaires Allemandes en France de voir la loi du 4 octobre 1940 recevoir son exécution et, d'une manière générale, le gouvernement français prendre les mesures nécessaires pour assurer l'expulsion ou l'internement des juifs étrangers résidant en territoire occupé.
J'ai l'honneur de vous informer des conditions dans lesquelles ces directives ont reçu leur exécution : le 14 mai dernier 3 733 Juifs furent rassemblés par les soins de la Préfecture de Police et dirigés le même jour sur les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). J'ai chargé M.le Préfet du Loiret de l'administration de ces camps.
Je ne manquerai pas de vous tenir au courant de toutes nouvelles mesures qui pourraient être décidées au sujet de ces internements. »

Un rapport de la préfecture de police rend compte des réactions de la population parisienne - ou du moins son interprétation - à cette rafle :
« Parmi certains milieux français aryens de ces mêmes arrondissements, il ne semble pas que ces mesures recueillent une complète approbation. En effet, on estime que ces mesures atteignent trop souvent des hommes mariés et pères de familles, qui vont laisser les leurs sans ressources, et que, par la suite, les enfants et les femmes vont se trouver à la charge du gouvernement français. On juge qu'il aurait mieux valu ne pas inquiéter les Juifs, ou les interner tous, sans distinction d'âge ni de sexe, en attendant les décisions européennes sur le problème israélite auxquelles certains journaux ont fait allusion. »

La deuxième grande rafle a lieu dans le XIe arrondissement le 20 août 1941. Officiellement, c'est un « rassemblement ». Il ne s'agit plus de convocations comme en mai 1941. Le quartier est bouclé à 5 heures 30 par 2 400 policiers français, en collaboration avec la Feldgendarmerie allemande3. Les stations de métro sont fermées.
2 894 hommes juifs de 18 à 50 ans, étrangers et français, sont arrêtés à leur domicile, par un policier en tenue et un autre en civil, ou dans la rue. Ils sont envoyés à Drancy, qui vient d'être ouvert, à Pithiviers et à Beaune-la-Rolande.
Le 21 août, les opérations s'étendent aux Xe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements. Le 22 août, elles ont lieu dans les IIIe, IVe et de nouveau dans les Xe, XIe, XVIIIe, XIXe et XXe. Le 23 août dans les Ier, Ve, VIe, IXe, XIIIe et XVIIe. Elles se poursuivent le 24 août. 1 338 arrestations supplémentaires sont réalisées.
Au total, du 20 au 25 août, 4 232 Juifs, étrangers et français (1500), sont ainsi arrêtés.
Selon les listes données, le nombre d'arrestations devait s'élever à 5 784.

À Paris, les arrestations dans les rues sont quotidiennes : les contrôles sont multiples et il suffit d'être en infraction avec les ordonnances allemandes ou les lois françaises pour être arrêté. Or les textes sont innombrables : interdiction de changer de domicile, de sortir entre 20 heures et 6 heures, de fréquenter les lieux publics (cafés, postes publics de téléphone, marchés et foires, jardins publics, etc.), d'avoir des contacts avec le public dans son travail, de faire ses courses dans les magasins sauf entre 15 et 16 heures, d'avoir le téléphone, de posséder un vélo, etc. Les Juifs ne peuvent voyager que dans le dernier wagon du métro.
À partir du 1er juin 1942, le port de l'étoile jaune est obligatoire pour tous les Juifs de plus de 6 ans ; elle doit être cousue visiblement sur les vêtements du côté gauche de la poitrine.
Être en infraction avec l'une de ces multiples lois conduit au dépôt de police. La permanence du dépôt devait attendre la décision de la Direction des étrangers et des affaires juives, qui, après avis de l'autorité allemande, statuait sur le cas. Aucune libération ne devait être effectuée sans l'ordre de cette direction.
À partir du 9 novembre 1943, être en infraction conduira directement au camp de Drancy.

Les 16 et 17 juillet 1942 a lieu la grande rafle du Vel d'Hiv : 12 884 Juifs, dont 3 031 hommes, 5 802 femmes, 4 051 enfants sont arrêtés, regroupés au Vélodrome d'Hiver, puis envoyés dans les camps du Loiret et à Drancy4. Les familles avec enfants sont envoyées dans le Loiret, avant d'être séparées dans la déportation vers Auschwitz.

Cette rafle avait été minutieusement préparée à partir du fichier Tulard.
25 334 fiches avaient été extraites pour Paris, 2 027 pour les communes de la proche banlieue.
Sont visés les Juifs allemands, autrichiens, polonais, tchécoslovaques, russes (« blancs ou rouges » est-il précisé) et apatrides, âgés de 16 à 60 ans pour les hommes, de 16 à 55 ans pour les femmes.
Mais « dans une intention d'humanité, le chef du gouvernement a obtenu, contrairement aux premières propositions allemandes, que les enfants, y compris ceux de moins de 16 ans, soient autorisés à accompagner leurs parents »5.
Sont exceptés les Juifs mariés à un aryen, les mères allaitant leurs enfants, les femmes en état de grossesse avancée et les femmes ayant un enfant de moins de deux ans6.
Les enfants de plus de 16 ans, s'ils étaient français, n'étaient pas pris.
Là encore, la précision de la préparation et des consignes d'exécution est spectaculaire.
Dans cette préparation, le fichier Tulard joue un rôle essentiel.
Les diverses consignes données aux « agents capteurs » pour la rafle du Vel d'Hiv précisent : « Devront être arrêtés tous les Juifs pouvant être transportables ; pas besoin de recourir à un médecin ; les agents n'ont pas à discuter sur l'état de santé.(…) Les enfants vivant avec la ou les personnes arrêtées seront emmenés en même temps, si aucun membre de la famille ne reste dans le logement ; ils ne doivent pas être confiés aux voisins. (…) Les couvertures sont portées en bandoulière, les effets et les objets (dont la liste est établie) placés dans un seul sac ou valise. (…) Les agents s'assurent, lorsque tous les occupants du logement sont à emmener, que les compteurs à gaz, de l'électricité et de l'eau sont bien fermés. Les animaux sont confiés au concierge. Les clefs du logement sont remises au concierge ou à des voisins, sous l'engagement verbal mais formel qu'aucun vol ou pillage ne sera commis. Les opérations doivent être menées avec le maximum de rapidité, sans paroles inutiles et sans aucun commentaire. ».

C'est la collaboration au quotidien. Ne tenez pas compte de l'état de santé des personnes, mais préoccupez-vous des animaux. Confiez-les. Mais ne confiez pas les enfants. Tout ce que vous avez à faire est dit ; vous n'avez pas à réfléchir, ni à commenter…
Et c'est ce qu'il advint.

Le 16 juillet était un jeudi, jour de congé scolaire à l'époque ; beaucoup d'enfants étaient à la maison.

Comme pour toutes les autres rafles, les agents doivent compléter la fiche qui leur a été remise, en indiquant « les noms et service de chacun des gardiens et inspecteurs ayant opéré l'arrestation. Le nom et l'adresse de la personne à qui les clés auront été remises. En cas de non-arrestation de l'individu mentionné sur la fiche, les raisons pour lesquelles elle n'a pu être faite et tous les renseignements succincts utiles ».

Ces renseignements sont partiellement reportés sur les fiches du fichier central, comme ceux en provenance des camps. On les retrouve aujourd'hui sur les fiches individuelles : arrêté le… ; interné le… à…

Les bus de la RATP étaient réquisitionnés. Les policiers étaient tous mobilisés pour cette rafle. Toutes les permissions avaient été suspendues. Les services de garde assurés habituellement, y compris des établissements allemands, étaient supprimés. Leur service débutait à 4 heures du matin. Ils étaient prévenus la veille. Chaque groupe de policiers avait cinq familles à arrêter. Pas un seul n'a refusé. Un seul a démissionné le lendemain.
Le jour même, certains sont venus dire : « Nous viendrons vous chercher dans deux heures, préparez-vous » ; c'était parfois une manière de dire : « Allez-vous-en » ; encore fallait-il savoir où. D'autres ont fait du zèle en cherchant les enfants cachés en toute hâte chez des voisins.

Les Juifs ont été assez nombreux à fuir Paris. Mais souvent, seuls les hommes sont partis, car les précédentes rafles n'avaient concerné que les hommes.
Dès le 16 juillet au matin à 8 heures, la préfecture constate que « L'opération contre les Juifs est ralentie. Beaucoup d'hommes ont quitté leur domicile hier. Des femmes restent avec un tout jeune enfant ou avec plusieurs. ».
Ainsi, beaucoup plus de femmes que d'hommes sont arrêtés, d'autant que beaucoup d'arrestations d'hommes avaient déjà eu lieu lors des rafles précédentes.

Le directeur de la police municipale suggère que les Juifs soient obligés de se présenter eux-mêmes dans les mairies chargées du renouvellement des feuilles de rationnement pour le mois d'août, et qu'ainsi ceux qui sont recherchés soient arrêtés.

Le 17 juillet, un rapport de la préfecture précise :
« Les mesures prises à l'encontre des Israélites ont assez profondément troublé l'opinion publique. Bien que la population française soit dans son ensemble et d'une manière générale assez antisémite, elle n'en juge pas moins sévèrement ces mesures qu'elle qualifie d'inhumaines.
Les raisons de cette désapprobation reposent en grande partie sur les bruits qui circulent actuellement d'après lesquels les familles seraient disloquées et les enfants âgés de moins de dix ans confiés à l'Assistance publique.
C'est cette séparation des enfants de leurs parents qui touche le plus les masses françaises et provoque des réactions qui se traduisent par des critiques sévères à l'égard du gouvernement et des autorités occupantes. »

Les 4 000 enfants n'ont en réalité pas été confiés à l'Assistance publique. C'est ce qui avait été envisagé un moment (« l'Assistance publique se chargera des enfants puis les remettra à l'UGIF »7).
Mais ils ont bien été séparés de leurs mères.
Leguay, alors délégué du secrétaire général de la police de Vichy (Bousquet), donne des consignes impératives : « Les enfants ne doivent pas partir dans les mêmes convois que leurs parents ; ils seront gardés dans un camp, soit à Pithiviers, soit à Beaune-la-Rolande .».
Le gouvernement français n'a en effet pas encore obtenu l'accord des Allemands à sa demande de déportation des enfants avec leurs parents.
2 000 mères sont déportées dès le début du mois d'août.
Les enfants restent seuls.
Les trains d'enfants, par groupes de 200 à 300, partiront à partir du 20 août de Pithiviers et Beaune-la-Rolande vers Drancy, puis Auschwitz.
Des témoignages racontent la séparation déchirante des mères et des enfants dans les camps du Loiret, et l'arrivée des enfants seuls à Drancy trois semaines après.

1. Caserne Napoléon ; caserne des Minimes ; 52 rue Edouard Pailleron ; 33 rue de la Grange-aux-Belles ; gymnase Japy.
2. Voir en particulier : Le Fichier, Annette Kahn.
3. Police militaire des forces armées allemandes.
4. Il n'existe qu'une photo de cette rafle, à l'inverse de celles de mai et d'août 1941 pour lesquelles de nombreux clichés ont été retrouvés, sur les arrestations et les transferts ; voir : 1941, les Juifs en France, Serge Klarsfeld, op. cit.
5. Conseil des ministres du 10 juillet.
6. Certains textes précisent aussi que les épouses des prisonniers de guerre sont exceptées.
7. UGIF : Union Générale des Israélites de France. Voir la page sur l'UGIF et l'OSE.

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